lundi 20 avril 2015

Sams’k Le Jah nous parle de son itinéraire, de son engagement, du reggae, du Rastafari, de Hailé Sellasié, de Sankara, de la révolution burkinabé, des artistes africains...

Sams’k Le Jah
Sams’k Le Jah nous parle de son itinéraire, de son engagement, du reggae, du Rastafari, de Hailé Sellasié, de Sankara, de la révolution burkinabé , des artistes africains…

Sams’k le Jah est un musicien burkinabé, né au début des années 70, animateur aussi d’une émission de radio consacrée au reggae sur Ouaga FM, très écoutée par la jeunesse de Ouagadougou. Engagé il se considère comme un éveilleur de conscience et n’hésite pas à "rappeler les dirigeants de son pays à l’ordre". Il a sorti début janvier 2007 son deuxième album intitulé "Une bougie pour Thomas Sankara" en hommage au défunt président assassiné (voir la présentation de cet album à l’adresse http://www.thomassankara.net/article.php3?id_article=0292). Mi avril 2007 Sams’k le Jah a reçu des menaces de mort (voir à l’adresse http://www.thomassankara.net/article.php3?id_article=0311) dont il nous parle aussi ici.

Cette interview a été préparée par des conversations que nous avons eues à Ouagadougou fin mars 2007. Les  questions ensuite ont été envoyées par Internet et les réponses aussi, permettant à Samsk Le Jah de garder le contrôle de sa parole. Elle a été réalisée pour le site http://www.thomassankara.net. Qu’il soit encore ici chaleureusement remercié pour le temps qu’il a bien voulu consacré aux visiteurs de notre site.

Bonjour samsklejah, vous êtes né en cote d’ivoire pensez vous que ça ait une influence sur votre itinéraire ?

Avant tout propos je voudrais vous dire merci et vous saluer au nom de celui qui nous a créé homme et femme, au nom du Dieu des mondes visibles et invisibles, celui au service de qui je voudrais être. Pour ce qui concerne votre question, je suis reconnaissant à l’endroit des mes parents, qui m’ont permis d’avoir au moins deux cultures. C’est une chance je pense, et cela vous permet d’avoir un plus dans votre vision des choses. Il y a d’ailleurs une sagesse qui dit que si vous partez à l’aventure, même si vous ne gagnez rien, vous apprenez quelque chose. Le fait d’être né en Cote d’Ivoire a certainement eu une influence sur moi mais je crois que c’est la sève du burkinabé en moi qui a développé le reste.

Outre la double culture, quelles valeurs vous ont transmis vos parents ?

J’ai eu des parents battants qui ont dû affronter plein de misères pour nous élever. Je fais partie de ces enfants qui n’ont jamais fêté leur anniversaire (il a d’ailleurs fallu attendre d’être au CM2 pour savoir ma date de naissance). Mon père est polygame avec de nombreux enfants. En gros chaque femme doit se battre pour ses enfants et comme ma mère est la première, elle avait plus de responsabilités donc plus de galères. Déjà enfant j’étais conscient du fait que je devais me battre pour ma mère et mes autres frères et sœurs. J’ai été le plus chanceux de la famille parce qu’ayant eu la chance de faire des études supérieures grâce à la bourse. 

Aujourd’hui je dois faire plusieurs choses en même temps pour m’occuper des parents, de mes frères et sœurs et bien entendu d’autres personnes autour de moi. Cet esprit de communauté et de partage c’est ma mère qui nous l’a inculqué parce qu’elle ne faisait pas de différence entre les enfants. Elle était la mère de tous. Et la sève spirituelle que j’ai en moi vient d’elle parce qu’elle passe tous le temps à prier et jeûne au moins 3 fois par semaine. Je crois que c’est tout ça qui m’a forgé. Le refus de l’injustice, des inégalités et toute forme de violence.

Comment êtes vous venu à la musique ? Et comment en êtes vous venu ensuite au reggae ?

Ma venue à la musique ressemble à celle de presque tous les musiciens. Petit on a des rêves. Y’en a pour qui ces rêves se réalisent, y en a qui empruntent d’autres chemins mais j’avoue que j’ai été rattrapé par un rêve d’enfance. Nous n’avions pas les moyens de nous offrir des instruments de musique alors on les fabriquait nous même avec des boites, des cartons. Les artistes en vogue en ces temps étaient Lougah François, Ernesto Djédjé, Bailly Spinto. Ensuite est venu Alpha Blondy en 1983. J’avais en ce moment 12 ans mais je me souviens que tous les jeunes du ghetto voulaient lui ressembler. Alpha Blondy a révolutionné la musique et la mentalité des jeunes. On interprétait ses chansons à tel point que nos aînés nous chassaient parce qu’on leurs cassait les tympans. Les études m’ont permis de découvrir mon pays où j’ai poursuivi mes études universitaires au département d’anglais. Et c’est en 2000 que des amis artistes venus de Côte d’ivoire notamment Slayz Bee, Ras Abachi, King David, Yatich m’ont convaincu d’aller en studio .c’est de là qu’est né mon premier album baptisé « mister man ». J’étais déjà animateur de musique reggae sur radio Energie (une radio privée). Je ne suis pas sûr de pouvoir vous dire comment je suis venu au reggae. C’est JAH qui en a décidé ainsi. Quand vous avez la fibre pour la justice, l’égalité de droit, l’espérance d’un monde meilleur pour les peuples, vous avez des fortes chances d’être choisis par la reggae musique et je crois que c’est mon cas.

Vous êtes rasta ? Pouvez-vous nous expliquer ce que ça représente pour vous ?

Rastafari est un univers très complexe et je ne suis pas sûr de pouvoir vous le définir. C’est cela qui fait le charme et la force de rastafari. Il est philosophique, mystique, culturel, spirituel et même politique. Rastafari est la synthèse de toutes les valeurs positives recherchées par l’humanité depuis la nuit des temps, à savoir l’amour du prochain, la solidarité agissante, la tolérance, l’harmonie pour un monde meilleur… c’est pour cela rasta vous dira peace and love. Mais l’ignorance a méconduit beaucoup d’entre nous qui s’accrochent à des détails et oublient l’essentiel c’est-à-dire l’Etre Suprême.

Vous vous réclamez de Sankara et comme rasta de Hailé Sélassié ? N’y a-t-il pas une contradiction ?

Hailé Sélassié sur le plan spirituel est descendant du Roi Salomon et de la Reine Makéda du vaste royaume de Shaba. L’histoire du peuple noir est entachée de l’esclavage. Et les descendants des esclaves ont, en réaction aux brutalités et à la déshumanisation qu’ils ont connu, les descendants des esclaves ont voulu  recouvrir leur identité et la gloire bafouée de leurs ascendants. Ils ont donc fouillé dans la Bible et y ont localisé des traces d’hommes et de femmes Noirs qui depuis la Genèse ont marqué la Bible. Alors que c’est le même livre qui a été utilisé par les esclavagistes dont le pape Nicholas V, pour justifier cette honte de l’humanité.

Hailé Sélassié a été l’un des plus grands défenseurs de l’Afrique. Grâce à lui, l’Ethiopie est resté le seul pays du continent noir à n’avoir pas été souillé par les colonisateurs. Il est à la base de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine.

Sankara est un des héritiers d’Hailé Sélassié dans le combat pour une Afrique libre et digne. Je ne vois donc pas de contraction à vouloir avoir ces deux grandes figures historiques comme modèles.
Sankara était certes croyant mais c’était un révolutionnaire. Il n’évoquait jamais Dieu en public ou dans ses discours et Hailé Sélassié était un empereur, le contraire d’un révolutionnaire qui a été renversé par des officiers révolutionnaires

Sauf erreur de ma part Sankara a cité la Bible et le Coran dans son discours sur la dette à Addis Abeba. Un révolutionnaire en Afrique ne peut pas être comme un révolutionnaire russe ou que sais-je encore. Papa Sankara (le père de Sankara, a été catéchiste à un moment de sa vie.

Jésus et Mahomet (paix et salut sur eux) ont prêché la même doctrine mais les Hommes aujourd’hui les opposent. Pour moi, les terminologies nous déroutent et quand on me parle de marxistes, de léninistes, de communistes, de capitalistes … ce sont des choses qui embrouillent l’esprit du peuple. Le peuple a besoin de choses essentielles et concrètes. Et on a besoin des gens pragmatiques. De défenseurs de causes nobles et élévatrices de l’espèce humaine. Je ne voudrais donc pas comparer Sankara et Sélassié parce que ce sont deux figures différentes ; mais leur combat a été le même : une Afrique LIBRE DIGNE et PROSPERE pour ses fils et filles.

Contrairement à de nombreux rasta, vous ne buvez guère et surtout vous ne fumez pas d’herbe…vous n’avez pas de dreadlocks…

Rastafari ne se définit pas par des apparats ou des apparences. Chacun son chemin et ses inspirations

Vous avez des contacts avec les autres musiciens qui font du reggae au Burkina ?

Grâce à mes émissions j’ai pu rencontrer beaucoup d’artistes avec qui j’ai de très bon rapport, en tout cas ceux avec qui je partage les mêmes vibrations.

Et avec ceux qui font du rap ? Parce que les rappeurs sont en général assez violents alors que vos chansons sont plutôt pacifiques. Vos pouvez en citer quelques uns au Burkina que vous aimez ?

Je suis comme on le dit ici un « vieux père » pour beaucoup de jeunes rappeurs. Ils ont beaucoup de respects pour moi. Dans mon premier album, kêlêtigui du groupe de rap LES SOFAA a posé sur une de mes chansons. Il y a le groupe YELEEN qui a organisé un concert pour collecter des sous pour mon opération. Je partage de bonnes vibrations avec SMOCKEY, AWADI et tous les autres. Comme je l’ai dit plus haut, je suis leur « vieux père » (grand frère) et ils me le rendent bien parce qu’ils connaissent mon combat. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, les rappeurs ne sont pas de gens violents. On est à une époque où les discours ne se font plus comme dans les académies où on vous impose une élégance du langage pour faire plaisir à une catégorie de personnes. Nous avons dépassé ça aujourd’hui et ce sont les autres qui doivent nous écouter maintenant. On a passé tout le temps à caresser nos gouvernants jusqu’à ce qu’ils s’endorment pour oublier nos problèmes. Maintenant il faut les réveiller et ils trouvent que nous sommes violents. Le Rap et le reggae ont le même sang qui coule dans leurs veines. Voilà pourquoi c’est le « togetherness » pour « chant down babylon system ».

Vous étiez pionnier pendant la révolution, quel souvenir en gardez-vous ?

Je suis arrivé au Burkina Faso en 1985, en pleine révolution. Et tous les enfants de mon âge, qui allaient à l’école étaient les pionniers de la révolution. Pour moi, un jeune collégien débarqué de Cote d’Ivoire, c’était la fascination. On faisait des défilés militaires, des travaux d’intérêts communs (opération mana mana, les reboisements,…) et une chose importante, c’est qu’en Cote d’Ivoire, nous avions une image sous estimatrice de notre pays. La révolution a redonné confiance, fierté et dignité aux burkinabé à telle enseigne que des non burkinabé partageaient cette fierté. A cause de Sankara nous voulions tous devenir militaire…jusqu’à ce que notre rêve soit violement brisé le 15 octobre 1987.

Vous dites que rêviez devenir militaire et puis finalement vous êtes devenu musicien, ce n’est tout de même pas la même voie ?

Le point commun à ces rêves, c’est aujourd’hui la possibilité que j’ai de contribuer au combat pour un Burkina libre et digne comme l’a souhaité Sankara en se sacrifiant pour nous. Mon arme c’est ma musique et mes émissions à la radio.

Beaucoup de jeunes de votre âge ont été pionniers, mais peu d’entre eux s’engagent aujourd’hui autant que vous ?qu’est ce qui s’est passé, y a –t-il eu un déclic ?

Nous n’avons pas traversé les mêmes rivières ; nous n’avons pas eu les mêmes éducateurs. Donc nous ne pouvons pas avoir les mêmes orientations. L’engagement n’a pas le même sens pour tous. Y en a qui peut être trouve que vous êtes engagé, d’autres non. Et parfois vous-même vous vous posez des questions. Mais qui a la dernière réponse à tout ? C’est l’histoire, je pense.

Vous vous rappelez du 15 octobre et des journées qui ont suivi. Que s’est-il passé ? que disaient vos amis ? Y en a-t-il eu qui ont soutenus Blaise Compaoré ? Quelle a été votre réaction ?

C’était un jeudi, j’étais en classe de 4ème au lycée mixte de Gounghin. C’était un après midi et je jouais au foot avec des amis. Quand soudain c’était une confusion avec des gens qui se sauvaient dans tous les sens. Je vivais chez mon oncle, nous n’avions pas d’électricité et le seul poste radio qu’on avait, avait des batteries mourantes. Dans la nuit, seuls les aboiements des chiens et les balles enflammées traversant le ciel étaient perceptibles. On ne comprenait rien à ce qui se passait. La radio jouait de la musique militaire. On a essayé d’avoir les radios internationales à travers les ondes courtes mais c’était pratiquement impossible. On implorait donc le Seigneur pour qu’il se fasse jour. Nous avons veillé cette nuit là. C’est au petit matin, quand les piles se sont un peu rechargées que le grand frère nous a dit que c’était un coup d’état et que c’était grave. C’est fou mais je me vois là en train de revivre ça. Le lendemain il n’ y avait pas classe. Et comme on avait tous peur, on avait décidé d‘aller au village. (Mon village est à environ 40 km en direction de koudougou en longeant les rails). On a dû rebrousser chemins parce que toute la brousse était tapissée de militaires. Boukary le lion avait fait une déclaration comme quoi il se battrait jusqu’à la dernière goutte de sang. Et je crois que de Ouaga jusqu’à koudougou, il y avait des militaires partout. Personne n’a voulu croire en la mort de Sankara. Moi j’ai toujours cru que c’était une blague et pourtant…

Que s’est-il passé pour vous entre le 15 octobre 1987 et la sortie de votre premier album ?

Les études étaient ma principale préoccupation. Mais je faisais beaucoup de recherches parce que j’avais trop de questions dans ma tête. J’ai eu la chance d’avoir un professeur de français, Mr. Kambiré Sié Léopold (paix à son âme). Plus qu’un prof de français il a été un éducateur pour moi et j’avoue qu’il a semé en moi l’amour de la recherche pour mieux comprendre certaines choses. Il nous invitait chaque fois au travail et nos disait que ceux qui gouvernent ce pays ne sont pas plus intelligents que nous et qu’il nous fallait comprendre qu’on devait contribuer à faire avancer le pays. Après le BAC, j’ai poursuivi des études en anglais (j’avoue que le reggae m’a un peu encouragé à apprendre l’anglais). Au bout des 4 années, on tombe généralement dans l’enseignement. J’ai enseigné quelques années dans les lycées avant de suspendre pour mieux me concentrer sur la radio et la musique.

Comment avez-vous réussi à faire votre 1er album ? Quels en sont les thèmes ?

Mon 1er album je l’ai fait avec l’aide d’amis venus d’Abidjan. Je me suis endetté pour l’enregistrer. L’enregistrement a pris près d’un an tellement c’était la galère. Mais il est finalement sorti le 02 novembre 2001. Les sujets abordés sont des expériences personnelles, la spiritualité, le regard des gens sur les rastas, l’amour etc.

Quelles sont vos références musicales sur le continent ?

Mes références musicales sont Ali Farka Touré, Alpha Blondy, Fela et bien d’autres.

Vous vous réclamez de Sankara, mieux vous venez de sortir un album »une bougie pour Thomas Sankara » qu’est ce que cela représente pour vous aujourd’hui ?

A travers cet album, j’essaye de me réconcilier avec moi-même et peut être aussi permettre à d’autres de le faire aussi. Je trouve que nous avons tous été complices de la mort de Sankara. Je trouve que nous avons été hypocrites et lâches vis-à-vis de lui. De son vivant c’est sûr que des gens lui disaient « il ne t’arrivera rien et même s’il t’arrivait quelque chose nous allions nous battre pour toi ». Qu’est ce qui a été fait ? Rien. Et en plus, notre cynisme est encore plus grave quand en complicité avec ses bourreaux on contribue à assassiner sa mémoire. Personne n’osait prononcer le nom de Sankara. On apprendra que les archives sur lui ont été détruites. Il fallait le nettoyer comme une plaie honteuse. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas tous être des complices de ceux qui assassinent la mémoire de nos leaders. Je n’ai pas eu la chance de connaître Che Guevara ou Lumumba, mais j’ai connu Sankara. Ne pas parler de Sankara c’est se renier en tant que burkinabé. Voila pourquoi j’ai allumé « la bougie pour Thomas Sankara » pour que mes petits frères et mes petites sœurs puissent savoir qu’un Président HONNETE ET DIGNE a dirigé ce pays. Qu’un homme s’est sacrifié pour nous et son nom est SANKARA. Qu’un homme a fait naître l’espoir, l’estime et la confiance chez les jeunes africains et cet homme venait du Burkina Faso (Terre des Hommes Dignes) et il s’appelait THOMAS ISIDORE JEAN NOEL SANKARA. Ça me donne encore envie de chanter « Sankara Sankara mon président, Sankara Sankara du Burkina, il est venu en homme intègre pour bâtir une Afrique digne Sankara Sankara… » yeah il n’est pas mort.

Sur la pochette de votre CD consacré à Sankara, vous remerciez votre maman. Pourquoi ?

Ma mère est centrale dans ma vie. C’est une femme courageuse. Dieu seul sait les misères qu’elle a connues. On a écourté ses études pour la donner en mariage forcé. Elle a vécu les misères, les violences et les injustices de la polygamie. Et ce qui m’édifie en elle, elle n’a pas gardé de rancune. Elle est restée forte. Et cela m’a forgé.

Vous ne nous avez offert dans cet album que 4 morceaux dont 2 sont des discours mis en musique, vous nous laissez sur notre faim…

Yeah. Ce n’est pas facile d’enregistrer ici. On n’a pas les moyens. Et surtout si vous aborder de tels sujets, ne comptez sur personne. J’ai plein d’autres compositions. Time will tell.

Vous avez rencontré des difficultés ? Vous avez pu le réaliser à Ouagadougou ? Est-il bien distribué ?

Les difficultés ne manquent pas dans ce genre d’entreprise. Mais tout engagement a un prix. On n’attend pas quelqu’un pour faire ce en quoi on croit. J’ai enregistré sur propre fond. J’ai dupliqué les cassettes moi-même et je les ai vendu au début. Chaque fois que j’ai un concert, je prends sur moi une certaine quantité que je vends. C’est comme ça ce passe. Ma chance c’est que j’ai une émission qui est beaucoup écoutée. A cause d’auto censure il y a des radios qui refusent de jouer mes chansons. Mais contre vents et marrées la bougie est toujours allumée.

Quelles sont les difficultés que rencontre un musicien au Burkina Faso ? Par exemple j’ai vu que pour organiser un concert vous avez loué le matériel au dernier moment, qu’un loueur sentant l’urgence a essayé de faire monter les enchères, que vous avez dû avancer tous les frais ? Est ce un choix d’indépendance ? Ou bien y a-t-il peu de soutien pour les artistes comme vous au Burkina ?

Quand vous chantez les fesses ou si vous faites les éloges d’un groupe d’individus, vous êtes invités à tous les galas. Mais pour des « parias » comme nous, il faut soit même organiser ses concerts.

Est ce qu’il existe de l’entraide entre les musiciens au Burkina et au niveau du continent ?
Nous sommes presque tous dans la débrouillardise mais on se sert les coudes quand il faut. Ce n’est pas facile mais on tient la route.

A propos des droits d’auteur, les artistes ont-ils eu des concertations avec le gouvernement ? Quelle est votre position par rapport au piratage omniprésent au Burkina ?"

Je crois que c’est un manque de volonté politique. Contre la drogue il y a des mesures énergiques, mais les artistes on s’en fout à la limite. Quel est le budget accordé à la culture dans nos pays ? Les artistes peuvent mourir, il y a eu pleins de discours, de rencontres, de propositions de mesures mais jusque là rien. Ce sont les pirates qui imposent leurs lois, et c’est sûr qu’il y a de gros bonnets qui gagnent leur compte dans la piraterie. De toute façon les artistes ne peuvent pas vivre ici de la vente de leurs k7. Même pour les droits d’auteurs il y a un flou orchestral autour et la pauvreté aidant, toute lutte engagée est sabotée par certains artistes qui se laissent vite corrompre. C’est un combat de titan et je crois qu’il serait important que les artistes s’unissent pour partager leurs expériences et mettre en commun leurs forces pour leur survie.

Vous animez une émission de reggae par ailleurs très engagée politiquement puisque vous y dénoncez les travers du régime, par exemple lors du dernier non-lieu prononcé dans l’affaire Norbert Zongo vous avez appelé la population à se lever. Ça ne vous crée pas de problèmes ? Est ce là le rôle d’un musicien ?

Ce que je dis dans mes émissions ne plait pas forcement à une catégorie des gens. Mais je voudrais préciser que je ne suis pas un provocateur. Je ne suis pas un incitateur à la violence ou au désordre. Ce que je voudrais, c’est aider à la prise de conscience de la part de la jeunesse qui doit enfin comprendre qu’elle doit activement prendre part à la prise de décisions qui nous concernent tous. Certains de nos dirigeants ont montré de façon criarde leur égoïsme et leur démagogie. Et il faut leur mettre la pression pour les rappeler à l’ordre. Le peuple offre au président, au ministre, au député etc. assez de confort pour bien faire leur travail et du coup ces derniers pensent qu’ils ont toute l’autorité pour voler, détourner, piller et prostituer le pays. Ceux qui portent des critiques sont tout suite embastillés ou assassinés. Combien de personnes devront ils tuer pour qu’enfin le peuple se réveille ? Ceux là qu’on prenait pour des opposants ont vendu la lutte au profit de conforts matériels. Faut il donc se taire et ne rien faire alors qu’on vit un enfer ou bien ne rien dire pour ne pas mal finir même si c’est pour vivre comme des clochards. Je crois que le rôle d’un artiste conscient et honnête c’est de servir de lampe au peuple. Au lieu d’être de sales vautours accrochés à des faveurs de fossoyeurs.

Vous avez reçu des menaces de mort récemment, à votre avis ça vient d’où ? Comment avez-vous réagi ?

C’est seulement ceux qui me menacent qui se connaissent. Tous ce que je sais c’est que ce sont des gens indignes et lâches. Même dans Far West il était indigne de tirer dans le dos de quelqu’un. Quelqu’un qui se dit investi de pouvoir de destruction se cache derrière le téléphone ou Internet pour vous menacer. Ce n’est pas digne. Je critique les idées et les actions de ceux à qui nous avons confié notre destin. Ils ont des comptes à nous rendre quant à la gestion de la chose du peuple. Sankara nous en a donné l’exemple. Les menaces loin de me ramollir ne font que renforcer ma conviction dans le fait que la jeunesse actuelle a les moyens de pression pour que nos dirigeants soient honnêtes malgré eux.

Vous vous sentez soutenu au pays ?

On est dans un pays où le soutien est toujours un soutien moral. Une lutte a besoin de moyen. Et ce n’est pas le soutien moral qui va faire bouger quelque chose. Quand j’ai eu ma maladie, on m’a dit qu’il fallait de gros moyens pour me faire opérer d’une prothèse à la hanche. Il me fallait réunir entre 13.000 et 14.000 euros. Des amis ont lancé un mouvement de solidarité où ils n’ont récolté qu’environ 750 euros. Ils étaient tous déçus et c’est moi qui devais les réconforter. C’est la vie qui est comme ça, y a des hauts et des bas mais quelque soit alpha il ne faut jamais baisser les bras.

Mais après les menaces, vous avez été soutenus au Burkina ? On en a parlé dans les médias au Burkina ? Les jeunes qui vous écoutent l’ont-il su Et les autres radios ? A part Bendré je n’ai rien vu dans la presse…

J’ai eu des messages de soutien venant de partout. Toute la presse en a parlé. Ici comme ailleurs. Des jeunes sont venus me témoigner leur soutien. Des journalistes m’appellent tous les jours pour me soutenir.

Vous êtes malade et vous vous déplacez difficilement, de quelle maladie souffrez vous ?

Je souffre d’une arthrose à la hanche gauche. C’est une douleur que je traîne depuis des années et faute de moyens je dois faire avec et me déplacer souvent à l’aide d’une béquille. Le plus important c’est le mental, et là ça va encore

Certains vous accusent d’avoir reçu de l’argent du pouvoir pour vous faire opérer en Europe pouvez vous vous expliquer là dessus ?

Les gens diront ce qu’ils veulent. Et le drame c’est que beaucoup de gens se complaisent dans l’ignorance et sont prêts à colporter de fausses informations juste pour se jouer les informés ; ils vous diront toujours qu’ils tiennent les informations « de sources sûres » qui ne sont en réalité que leur propre imagination. Si j’avais reçu de l’argent, je ne serais pas encore ici à traîner ma douleur à moins d’être un fakir.

Finalement vous allez pouvoir vous faire soigner en Suisse comment avez-vous réussi à rassembler l’argent ?

Je n’ai pas encore réuni l’argent. C’est un ami suisse qui s’est battu avec l’aide de sa mère depuis plus d’un an pour que j’arrive à avoir le rendez vous afin de me faire opérer. Je dois réunir autour de 6000 francs suisse avant le 1er juin. On se bat pour. J’en profite pour lui dire grand merci et je dirais Dieu bénisse la Suisse parce que grâce à eux Samsklejah pourra marcher sans douleur. Merci Switzerland.

Y-a-t-il une adresse où les gens qui peuvent vous aider pourraient vous envoyer un soutien financier ?

Mon site est www.samsklejah.com et mon téléphone 00226.78 01 28 27
Vous êtes engagé dans le collectif de préparation de la commémoration du 20ème anniversaire de la mort de Sankara, quel rôle y jouez-vous ? Avez-vous déjà pris contact avec d’autres artistes africains ?
2007 marque les 20 ans de l’assassinat de Thomas Sankara. Et cela ne doit pas passer sous silence. Sankara doit être enseigné à la génération présente et à la postérité. Et je crois que c’est un honneur pour moi de faire partie de ceux qui auront la lourde tâche de réussir ce défi. J’ai pour tâche principale de réunir le maximum d’artistes engagés pour la cause Sankara. Au plan national nous avons Smokey, Dick Marcus, Zedess, moi-même samsklejah ; à l’international nous avons Awadi, Tiken Jah, Koulsy Lamko…

Vous n’avez pas peur d’être instrumentalisé ? Par exemple il semble que les partis Sankaristes utilisent une de vos chansons dans leur campagne électorale des législatives actuelles ? Qu’en dites-vous ?

Il est très important de le souligner parce que je ne chante pas pour les partis Sankaristes. C’est vrai qu’il y en a qui utilise ma musique pour battre leur campagne et ce que je déplore c’est le fait que je n’ai même pas été informé. C’est tant mieux si ça peut les aider à gagner mais il ne faut pas qu’ils nous oublient après. On veille au grain et ce ne sont pas les inspirations qui vont manquer pour dire ce qu’on pense de leurs agissements.

A quand le prochain album ?

Dieu seul sait. Pour l’instant ma préoccupation c’est de pouvoir me faire soigner afin d’avoir plus de force pour la suite du chemin.

D’autres projets ?

Dieu est le maître d’ouvrage.
Dieu vous bénisse et nous protège. Le combat continue

Bruno Jaffré
Propos recueilli pour le site thomassankara.net fin avril 2007

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